On a parlé des numéros 10 avec Christophe Kuchly, auteur de “L’Odyssée du 10”

On a parlé des numéros 10 avec Christophe Kuchly, auteur de “L’Odyssée du 10”

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Diego Maradona & Michel Platini – northfield.wordpress.com

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Par Abdallah Soidri

Publié le

Le poste préféré de ton joueur préféré.

“Que des numéros 10 dans ma team.” Cette formule désormais célèbre est l’œuvre de Booba sur sa chanson “N°10”. Dans ce titre, le rappeur de Boulogne-Billancourt utilise la référence du poste de meneur de jeu et de son numéro pour dire qu’il n’est entouré que des meilleurs. Car si, dans le football moderne, les 10 se font plus rares, ils sont dans l’imaginaire collectif ce qui se fait (ou se faisait) de mieux sur un terrain.
Ce numéro mythique fait l’objet d’un livre écrit par le collectif Les Dé-Managers, L’Odyssée du 10. Un voyage dans le temps et aux quatre coins du monde consacré aux joueurs qui ont marqué le football par leur créativité et leur génie. Christophe Kuchly, l’un des auteurs, nous raconte dans un entretien ce poste à part. Avec du Maradona, du Pelé et du Zidane, forcément.
Football Stories | Après Comment regarder un match de foot ? et Les entraîneurs révolutionnaires du football, pourquoi avoir choisi de vous attaquer au numéro 10 ?
Christophe Kuchly | À l’issue d’une réunion, on s’est demandé dans quelle direction on allait partir. Après les deux premiers livres, on a eu l’impression d’avoir tout balayé sur l’aspect tactique. Puis l’idée de se focaliser sur un seul poste est apparue, et c’est celui de numéro 10 qui ressortait le plus. Parce que c’est le plus mythique, ça parle à tout le monde et c’est celui que tu résumes par métonymie à son numéro.
Justement, c’est quoi un numéro 10 ?
C’est l’élément le plus créatif de l’équipe. Dans son utilisation et dans son positionnement, il joue traditionnellement milieu offensif axial, c’est-à-dire entre la défense et le milieu de terrain adverse. Dans le livre, on utilise la notion de meneur de jeu – aussi pour éviter la répétition – pour expliquer ce qu’est un numéro 10. Comme au basket, il en existe de différentes sortes. Il peut mener dans plusieurs positions, être plus altruiste ou individualiste.
Qu’est-ce qui rend le 10 si spécial par rapport aux autres joueurs ?
On s’est plus attachés à ce genre de joueurs parce que c’était les meilleurs sur le terrain, et ils avaient tous les aspects de la créativité. Et puisqu’ils évoluaient proche du but adverse, quasiment chacune de leur prise de balle pouvait être décisive. Maradona, dès qu’il touchait le ballon, on sentait qu’il était au-dessus de tout le monde et qu’il pouvait se passer quelque chose.


Qu’est-ce qu’il faut pour être considéré comme un grand 10 ?
Il faut un talent supérieur aux autres, parce que le 10 évolue dans la zone sur le terrain la plus dense. L’autre aspect pour ce poste, c’est le leadership. Mais c’est aussi avoir de la personnalité sur le terrain. Beaucoup nous ont dit que la plus grosse caractéristique à avoir c’est de demander le ballon dans des zones dangereuses. Et donc que le plus gros charisme, ce n’est pas d’être un leader de vestiaire et de gueuler, mais de demander la balle même sous pression. C’est ça qui va permettre au meneur de jeu d’avoir l’adhésion du groupe et qui va plaire au public.

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“Ce n’est pas d’être un leader de vestiaire et de gueuler, mais de demander la balle même sous pression”

En lisant le livre, on remarque que dans chaque pays, la culture du 10 est différente. En Argentine, en Italie, au Brésil, en France, etc. Est-ce qu’il y en a un où on les forme mieux qu’ailleurs ?
Historiquement, l’Argentine s’est beaucoup concentrée sur la formation de ce type de joueurs. C’est un pays où il y a toute une lignée de numéro 10. On parle des postero, les terrains vagues sur lesquels beaucoup de jeunes Argentins débutent, comme Maradona à l’époque.
Sinon, à part l’Angleterre où on n’a pas su les impliquer et où tactiquement c’était le 4-4-2 à plat, tous les grands pays de foot ont formé des numéros 10. En Italie, je pense à Baggio. En France, on pense bien sûr à Platini et Zidane. Et bien évidemment, on est obligé de parler du Brésil. Il y a eu Pelé, le premier à avoir vraiment valorisé ce numéro à l’époque, Zico et, dans une interprétation un peu différente, Ronaldinho est un de ces meneurs de jeu qui font rêver.
Quand on regarde l’histoire de l’équipe de France, on remarque qu’à chaque victoire, il y avait un grand 10. En 1984, c’était Platini. En 1998 et en 2000, c’était Zidane. Quid de 2018, qui était le 10 de la France ?
Pour moi, il n’y avait pas vraiment de numéro 10 dans la forme classique du terme dans cette équipe. On peut estimer que par sa capacité à faire avancer le jeu, Griezmann pouvait avoir ce rôle. À sa façon, il a quelques aspects de ce qu’on peut appeler un numéro 10. Mais, traditionnellement, le meneur de jeu est plutôt quelqu’un qui a le ballon et qui dicte le tempo, alors que l’équipe de France a beaucoup joué la contre-attaque.
On voit aussi la différence quand on compare son abattage défensif à celui d’un numéro 10. Griezmann était quand même l’un des premiers défenseurs de l’équipe de France, ce qui tranche avec Zidane ou Platini. Quand ils perdaient le ballon, ils avaient des milieux défensifs pour faire le sale boulot. La plus grande qualité de Griezmann, outre le fait de savoir conserver le ballon sous pression et de le redistribuer proprement, c’est d’enfiler le bleu de travail quand il faut.

“Tous les numéros 10 peuvent être résumés en Maradona”

C’est aussi un numéro dur à porter, on l’a vu en France avec les “nouveaux Zidane” et les “nouveaux Platini”. Comment ça s’explique ?
Des joueurs nous ont dit que revêtir le numéro 10 avait une symbolique particulière. Dès qu’on l’enfile, il y a des attentes et le joueur qui sera un peu plus scruté que les autres aura des difficultés à assumer. Mais au-delà de ça, il y a tout l’aspect autour de la succession de Zidane ou de Platini, se dire “je passe après une légende”. C’est ce qui a plombé les successeurs de Platini, qui étaient pourtant de bons joueurs de clubs.
Pour l’après Zidane, c’est un peu différent : on peut se dire que Marvin Martin ou Mourad Meghni n’avaient pas la qualité suffisante pour s’installer durablement en équipe de France. Ils ont juste eu le malheur d’arriver dans un rôle similaire quelques années après. Et on leur fait porter des responsabilités qu’ils n’avaient pas demandées.
S’il devait n’en rester qu’un seul, dans toute l’histoire du football, qui ce serait ?
D’un point de vue mythique et de ce qu’il était capable de faire, ce serait Maradona. Tous les numéros 10 peuvent être résumés en Maradona. L’équipe d’Argentine jouait pour lui. On pourrait presque dire que c’était le seul joueur de foot au milieu de porteurs d’eau. Pour résumer grossièrement : si Maradona fait un mauvais match, l’équipe ne gagne pas, mais il peut remporter un match à lui tout seul. Il y a aussi la mythification du numéro parce que Maradona c’est le numéro 10 et c’est aussi le côté grand meneur argentin. C’est le joueur capable de faire se lever les foules sur 10-15 minutes d’une rencontre. Et ça suffira pour plier des matches.