La grande solitude d’Eni Aluko, victime du racisme de l’ancien sélectionneur des féminines anglaises

La grande solitude d’Eni Aluko, victime du racisme de l’ancien sélectionneur des féminines anglaises

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Par Sacha Dahan

Publié le

Depuis plusieurs mois, Eni Aluko, star de la sélection féminine d’Angleterre, se bat pour dénoncer le racisme et la “culture du harcèlement”. Avec plus ou moins de soutien.
Après des mois de silence, la sœur de l’ancien joueur de Fulham Sone Aluko a mis un gros coup de pied dans l’immense fourmilière du football anglais. En dénonçant ouvertement le racisme de l’ancien sélectionneur de l’équipe nationale féminine d’Angleterre, Mark Sampson, Aluko a tenté de faire de son courage un exemple pour éradiquer la discrimination. Mais aujourd’hui, les conséquences ne sont pas celles qu’elle espérait : elle a depuis perdu sa place en sélection, et se sent bien esseulée dans cette épreuve.

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Un silence acheté 

C’est dans le Guardian qu’elle a dévoilé les faits cet été, mais ces derniers remontent à novembre 2014. Avant une rencontre face à l’Allemagne, Sampson aurait demandé à Eni Aluko si elle comptait inviter quelqu’un au stade. Elle précise alors que sa famille nigériane sera présente. La réponse de Sampson a ensuite fait polémique :

“Nigeria ? Assure-toi que ta famille ne ramène pas le virus Ebola avec elle !”

Cette phrase, considérée comme raciste par la PFA (syndicat des joueurs professionnels), Eni Aluko l’a longtemps trainée comme un boulet. Le Guardian a également révélé que la FA, la fédération anglaise de football, avait conclu un accord pour acheter le silence d’Aluko pour 90 000 euros. À l’époque, la FA avait demandé à l’attaquante anglaise de ne pas “perturber” l’Euro 2017 des Lionnes.

Une honnêteté qui lui a coûté sa place en sélection

Et l’allusion au virus Ebola n’est même pas la première accusation que subit Mark Sampson. Aluko a dévoilé dans le même temps, toujours au Guardian, une autre preuve que l’humour du coach de 35 ans n’amuse pas toutes ses joueuses. Durant une causerie lors de la China Cup en 2015, il aurait utilisé une métaphore policière pour décrire sa tactique. Il se serait ensuite tourné vers Drew Spence, seule joueuse de couleur de l’équipe présente à ce moment-là pour lui demander : “Toi, tu as déjà été arrêtée par la police avant ? Quatre fois, n’est-ce pas ?” La FA, grâce à l’enquête de l’avocate Katharine Newton, avait estimé que cette remarque n’avait rien de raciste et Sampson avait reconnu plus tard qu’il devait probablement améliorer ses “compétences générales de communication”.

Résultat : l’honnêteté d’Eni Aluko lui a coûté sa place en sélection, puisqu’elle n’a plus été appelée depuis le mois d’avril, comme le lui avait annoncé le sélectionneur cet été. Elle rejoint aussi plusieurs de ses coéquipières comme Anita Asante, qui, toujours selon Aluko, ne seraient plus appelées à cause de leur couleur de peau, alors que leurs performances légitimeraient une place dans l’équipe.
Ces accusations ont sérieusement mis dans l’embarras le monde du football britannique, qui a limogé Mark Sampson en septembre dernier. Lors de ce licenciement, aucune mention à cette affaire de racisme, mais une mention aux “rapports inappropriés” qu’il aurait eus avec ses joueuses, à l’époque où il entraînait Bristol City. 
Cela n’empêche pas Aluko, qui a entrepris avec succès des études de droit et qui a même travaillé comme avocate, de prendre son combat contre le racisme très au sérieux. Dans cette fameuse interview pour le Guardian, elle avait expliqué pourquoi briser le silence était devenu pour elle une nécessité :

“Je pense que c’est le moment pour moi de dire “regarde, ce sont les faits, ce sont mes affirmations, à savoir la discrimination, la persécution, le harcèlement“, et d’expliquer la vérité. Ma mère m’a toujours dit “les personnes les plus calmes sont souvent les plus sages” et je pense qu’il y a eu beaucoup de bruit de la part de la fédération anglaise. Beaucoup de “panique, panique, panique… éteindre le feu… éteindre le feu...” Je n’ai pas besoin de mentir. Et je n’ai pas besoin de m’incliner devant la pression pour parler car je connais la vérité”.

Même esseulée, Aluko continuera le combat

Néanmoins, beaucoup remettent en question la véracité de ses affirmations, et les accusations de mensonge les plus fortes ont été portées par David James, ancien gardien de couleur de la sélection anglaise, sur Twitter :

“Mark Sampson viré ? J’ai l’impression que certains talents gâchés ne peuvent pas faire face au fait qu’ils ne sont plus assez bons ! #enialuko”

Le tweet en question, supprimé depuis, illustre la solitude à laquelle est confrontée l’avant-centre des féminines de Chelsea. En septembre dernier, les joueuses anglaises ont célébré un but lors d’une rencontre face à la Russie en se précipitant vers Sampson… Comme une manière de montrer toute leur solidarité envers le coach britannique, qui dirigeait son dernier match avant son éviction. Résultat, Aluko a regretté ce geste, et a annoncé sur la BBC être déçue et surprise du manque de soutien de la part de ses désormais ex-coéquipières. Car aujourd’hui, elle est presque devenue persona non grata au sein de la sélection, puisqu’elle n’est plus en contact avec les autres internationales, exceptées ses coéquipières de Chelsea.

Oh, désolée, c’est de ma faute, j’aurais dû trouver vraiment drôle cette “blague inopportune” sur ma famille qui revient avec Ebola.

Aujourd’hui, Eni Aluko se retrouve au cœur d’un malaise et d’un football anglais séparé en deux, entre ses soutiens et ses opposants. Si elle s’attendait probablement à trouver une voix collective encline à se battre contre le racisme et les discriminations dans le ballon rond, Aluko revêt pour certains le costume d’héroïne. La journaliste Suzanne Wrack assure même dans The Guardian qu’à l’image de Kaepernick dans le football américain, Aluko “a rendu, en défiant les pouvoirs de son sport, un précieux service à ses futurs joueurs“. Peu importe l’issue de cette affaire, Aluko, elle, continuera à se battre contre le racisme dans le football.