Entretien avec Bilel Ghazi, journaliste spécialiste du mercato à L’Equipe

Entretien avec Bilel Ghazi, journaliste spécialiste du mercato à L’Equipe

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Le journaliste Bilel parle de la période du mercato. (Capture d’écran La chaîne L’Équipe)

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Par Abdallah Soidri

Publié le

En cette période de mercato, nous nous sommes entretenus avec Bilel Ghazi, journaliste et spécialiste mercato à L’Équipe. 
Après une journée agitée qui a vu l’arrivée de deux gros joueurs à l’OM et au PSG, Bilel Ghazi nous a accordé un peu de temps pour discuter de cette période si particulière qu’est le mercato. Entre toutes les rumeurs, les signatures et les secrets de polichinelle, le journaliste de L’Équipe nous en dit plus sur son métier, et ce marché pas comme les autres.


Football Stories | Peux-tu te présenter à nos lecteurs qui ne te connaissent pas forcément ?

Bilel Ghazi | Je suis journaliste à L’Équipe. J’ai commencé mes premières piges en 2010, puis en 2012 je suis parti en Italie, à Milan, pour suivre le championnat. J’ai été titularisé à L’Équipe en mars 2015. Avant ça, j’étais journaliste au Dauphiné Libéré, à Grenoble, d’où je suis originaire. Cette année, j’entame ma troisième saison en tant qu’envoyé spécial permanent à Lyon, où je couvre principalement l’activité de l’OL. Je suis aussi parfois en renfort sur Saint-Étienne, je bosse pas mal sur le mercato et sur l’Équipe de France Espoirs.
Je suppose que c’était une journée agitée ce mardi avec les arrivées en L1 de Steve Mandanda et Daniel Alves…

C’est tous les jours agité le mercato. On est constamment sur la brèche, parce que ça peut tomber à n’importe quel moment. Mais mardi c’était une journée importante, parce qu’elle a marqué l’arrivée d’un joueur important au PSG, et elle a aussi vu la concrétisation du retour de Mandanda à Marseille, en plus du transfert de Rami qui s’est bouclé la veille. De toute façon, dès que ça touche Paris et Marseille, c’est toujours une journée un peu plus chargée que les autres.
Pour beaucoup, le mercato est une période attendue. Est-ce que c’est la meilleure de l’année ?

J’aime tout dans ce qui compose mon métier, mais ce serait mentir de dire que je préfère le mercato à la période où les matches commencent. Il n’y a pas mieux qu’aller dans un stade, observer des joueurs, parler ballon, tactique et technique. L’essence du foot c’est le jeu. Je préfère être en tribune de presse qu’être dans un bureau avec le téléphone qui sonne sans arrêt à en provoquer des migraines. Le mercato me plaît beaucoup mais je reste un amoureux du foot : un onze contre onze avec un arbitre et un ballon.

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“Dès que ça touche Paris et Marseille, c’est toujours une journée un peu plus chargée que les autres”

Comment devient-on un spécialiste du mercato ?
C’est une période qui m’a toujours un peu attiré. Déjà à l’époque, quand je suivais le GF38 pour le Dauphiné Libéré, j’aimais bien passer des coups de fil aux agents, tisser mon réseau avec les joueurs de l’effectif et les dirigeants. Je l’ai construit comme ça, et il s’est prolongé au fur et à mesure des rencontres et du temps. Je me suis pris assez vite au jeu. Je trouve qu’il y a un côté excitant dans cet exercice du mercato. J’aime le fait d’annoncer aux lecteurs les premières recrues de leur club – ou les mauvaises nouvelles avec le départ des joueurs vedettes. Il y a aussi le côté compétition, dans le sens où on a forcément envie de sortir en premier l’information. Pour cela, on doit composer avec les clubs qui veulent annoncer leurs recrues ou les départs avant les médias. Et entre nous aussi il y a de la concurrence : il faut jouer des coudes pour être le premier.


À partir de quel moment tu te dis que c’est le bon moment pour sortir une info transfert, alors que rien n’est signé. Ça ne crée pas d’interférences ?
À partir du moment où il y a une discussion entre un club et un joueur, ou entre deux clubs pour un joueur, je pars du principe que c’est de l’information. Lyon, par exemple, a fait une liste de plusieurs noms pour le poste de défenseur central. Il y avait Mangala, Denayer et Marcelo. Dès que l’on sait que l’OL est sur ces trois-là, et que a priori la recrue devrait être l’un d’eux, c’est une première information.
Mais il y a plusieurs degrés d’information : l’intérêt, les négociations, l’offre et la concrétisation. C’est dans les termes employés, dans la manière de retranscrire l’information qu’il faut être très précis, pour permettre aux lecteurs de comprendre si l’affaire est proche ou non d’être concrétisée, s’il s’agit de prémices, si ça en est à un stade avancé ou si on est dans la finalisation. Je pense que c’est important de poser l’info dans un cadre très carré, très précis.
Quels conseils donnerais-tu aux supporters pour garder la tête froide, avec toutes les rumeurs qu’on peut lire et entendre ?
Certains sont à cran, je peux comprendre. À Monaco par exemple, après la très belle saison du club, les supporters ont le sentiment qu’on parle davantage des départs que des éventuelles arrivées. Mais c’est logique. Ils sont un peu victimes de leur succès et des antécédents des propriétaires du club, qui ont eu tendance à vendre ce qui constituait la force de leur effectif. Je comprends qu’un supporter à fond derrière son équipe n’a pas forcément la même approche que nous, c’est-à-dire un peu plus froide. Il va être assez pressé de voir des joueurs arriver, il va s’agacer de voir qu’on annonce les meilleurs joueurs de son équipe partir, et il va avoir tendance, parfois, à s’en prendre à nous quand on va parler d’un profil étudié par son club. Alors qu’évidemment on n’a aucune incidence sur les joueurs souhaités par le club. Et ça, je le vois sur Lyon. On me demande d’influencer les dirigeants sur le recrutement. Je n’ai évidemment pas la prétention de penser avoir une once d’influence. On est surtout là pour l’information.
Quel a été le mercato qui t’a le plus marqué, en tant que journaliste et fan de foot ?
Celui de l’été dernier. Avec le transfert de Paul Pogba, on est rentré dans une nouvelle ère. On parle d’un mercato qui a officialisé cette nouvelle puissance anglaise liée aux droits télé. C’est des sommes folles, et on se demande parfois si c’est rationnel. Mais on sait que quand un club dépense autant d’argent, il a l’assurance d’en récupérer une partie grâce à l’extra-sportif.
Et puis j’ai été le premier à sortir l’information, mais ça n’a pas été facile à tenir pendant deux, trois semaines parce que le transfert a mis du temps à se concrétiser pour des raisons de commissions d’agents. Entre le temps où on l’a annoncé dans L’Équipe et l’officialisation, il y a bien eu 14 ou 15 jours. Même si j’étais confiant dans mon information, il fallait tenir avec la pression des lecteurs, des réseaux sociaux et des camarades. C’est pour ça que ça m’a marqué. Et dès que c’est devenu officiel, je me rappelle avoir connu un grand sentiment de soulagement.

Tu penses qu’en terme de prix, ça peut aller plus haut que celui de Pogba ?

Je pense que ça ira plus haut. Si, demain, Kylian Mbappé part de l’AS Monaco, ce sera le transfert le plus cher de l’histoire du foot. Et pour dire à quel point on ira vers des sommes complètement folles, on parle d’un joueur qui est titulaire depuis 6 mois et qui s’apprête à devenir peut-être le plus gros transfert de l’histoire, en cas de départ de Monaco.
Mais prenons le cas de Neymar. Si Mbappé c’est 160, 170 millions, Neymar c’est 200 millions, facile. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de limites. On sait qu’il y a des revenus énormes liés aux droits télé et aux droits d’image qui assurent aux club des retombées. Mais si on se pose trente secondes et qu’on réfléchit à l’importance des sommes engagées, c’est assez fou. Même en étant dans le milieu.
Si tu devais citer le transfert le plus réussi, ce serait lequel ?
On parle souvent des flops mais il y en a plein qui sont réussis. Pour un exemple assez connu, je vais prendre celui de Karim Benzema. Il est passé de son club formateur à un club qu’il admire. Ça a été l’un des transferts les plus importants pour l’OL et un gros investissement pour le Real Madrid à l’époque. Le club avait déjà misé sur de gros joueurs par le passé, mais là c’était un vrai pari pour eux. Et au final tout le monde est content, que ce soit à Lyon ou à Madrid. Le fait que Karim Benzema ait perduré au Real, c’est la preuve d’un transfert réussi.

“Si Mbappé c’est 160, 170 millions, Neymar c’est 200 millions, facile”

En France, le club qui attire toute l’attention des fans et des observateurs de foot, c’est l’OM. Quel est ton avis pour l’instant sur leur mercato et le Champions Project ?
Je trouve leur mercato plutôt cohérent. Ils ont renforcé chaque ligne avec Mandanda, Rami, Luiz Gustavo, Germain. Je pense qu’il manque un deuxième attaquant de pointe, mais ils ont construit un effectif plein d’expérience avec l’arrivée cet hiver de Payet et d’Evra. Il y a également quelques jeunes en devenir qui sont déjà bien aguerris : Lopez, Thauvin ou Sanson. C’est plutôt un bon compromis du côté de Marseille. Ce sera une attraction de Ligue 1 cette saison. Pour ce qui est du Champions Project, je pense que c’est un peu tôt. Il y a encore un fossé avec le PSG voire l’AS Monaco. Mais l’effectif actuel doit permettre à l’équipe de progresser après sa 5e place la saison dernière. Donc voir l’OM batailler pour le podium est plutôt envisageable.


Et sur le mercato du PSG ?
Il a pris du temps à démarrer. J’attends de voir Yuri Berchiche, s’il peut apporter une plus-value au PSG, surtout que le club a perdu Maxwell qui était un immense joueur. En attendant, il reste une inconnue.
Voir Dani Alves venir en Ligue 1, c’est top. Il a trois C1, et il a participé aux grandes années du FC Barcelone. On l’a vu la saison dernière, il a fait beaucoup de mal à Monaco avec deux passes décisives et un but. À 34 ans, il reste l’un des meilleurs latéraux. Pour moi, il est toujours dans le top 5 mondial. En terme d’expérience et de qualité de footballeur, c’est une énorme recrue. Mon petit bémol, c’est que Meunier n’a pas déçu la saison dernière. Et Aurier, à part le comportement, reste un très bon latéral en Europe.
Et quid de Verratti : partira, partira pas ?
Je pense qu’il veut toujours partir, mais ça n’arrivera pas. Ce serait un très mauvais signal pour le PSG de le laisser quitter le club, surtout au regard des méthodes un peu brutal de son agent. La cohérence du projet du PSG passe notamment par la gestion de ce dossier. Le club doit avoir la force de persuasion pour convaincre son joueur de rester. Même en terme de fermeté envers son vestiaire, il ne peut pas se permettre de vendre à un concurrent européen.
Et enfin Mbappé, l’autre gros feuilleton de ce mercato. On en est où ?
Il y a beaucoup de convoitises autour du joueur de la part de clubs lourdement armés sur le plan sportif et financier. Le joueur et son entourage n’ont jamais déclaré vouloir quitter la Principauté. Ce n’est pas une obsession pour eux de partir. Rester une saison supplémentaire à 19 ans, ce n’est pas un inconvénient. Au contraire. À Monaco il sera toujours au centre du projet, il aura l’assurance de jouer et de disputer la C1. Mais ce qu’on a aussi écrit, parce que c’est ce qui nous revient aux oreilles, c’est que ça va aussi dépendre de la politique globale de l’AS Monaco durant ce mercato : est-ce que le club a terminé de vendre des joueurs, ou va-t-il accepter toutes les offres importantes pour ses éléments ? Si Mendy, Lemar, Fabinho suivent Bernardo Silva sur le chemin de la sortie, je ne suis pas convaincu que Mbappé aura très envie de rester à l’AS Monaco.

Sur ces dernières années, quel est pour toi le club de Ligue 1 qui travaille le mieux sur le marché des transferts ?
L’AS Monaco. C’est clairement le club qui travaille le mieux en France. Avec le réseau de Jorge Campos, le club a réussi à recruter des mecs en devenir qui sont devenus des joueurs confirmés, et qui l’ont conduit vers un titre de champion de France, une demi-finale de C1 et qui ont assuré sa pérennité financière. Je pense que la meilleure recrue de l’AS Monaco, c’est Leonardo Jardim. Il a réussi à s’adapter aux différentes politiques de recrutement du club. Quand il a eu un effectif qui nécessitait qu’il bétonne, il a bétonné. Quand il a fallu faire progresser les joueurs, il les a fait progresser. Et quand il a eu les armes pour jouer un jeu offensif, il l’a fait.
Pour l’instant on entend beaucoup de noms, de rumeurs durant ce mercato mais pas de grosses signatures, à part Daniel Alves au PSG et Lukaku à Manchester United. Comment ça s’explique ?
Parce que les clubs anglais n’ont pas encore totalement actionné la machine. C’est généralement vers la mi-juillet qu’ils s’activent, et pas forcément que les gros. Ils vont injecter de l’argent sur le marché, ce qui va entraîner un jeu de chaise musicale, avec cette manne financière qui va aller dans toute l’Europe. Aujourd’hui, le marché est dépendant des clubs de Premier League.

“Aujourd’hui, le marché est dépendant des clubs de Premier League”

Sur les réseaux sociaux, on voit que tu prends le temps de répondre à tes followers. C’est important de les tenir informés en dehors du site et du journal L’Équipe ?
C’est important d’être dans l’échange et d’être proche des lecteurs. Participer aux échanges sur les réseaux sociaux, c’est quelque chose que j’aime bien et que je fais par plaisir. Ça me permet de décompresser et d’aborder l’information d’une autre façon.
C’est déjà arrivé qu’un de tes followers te donne une info transfert ?
Non, mais sur Internet et les réseaux sociaux tout le monde peut être acteur de l’information. Ça peut sortir à n’importe quel moment. Il suffit qu’une photo circule et n’importe quel quidam peut en être à l’origine. Pour Dani Alves, c’est à travers les réseaux sociaux que ça a commencé à fuiter. J’appelle ça l’information participative. Et c’est bien parce que ça nous oblige à être plus performant, à légitimer notre rôle et forcer les lecteurs à nous lire.


Comment ça se passe avec les agents pour leur faire “cracher le morceau” ?
C’est une relation de confiance, qui s’installe avec le temps. Si un agent te donne une info et qu’il te demande, pour ne pas faire capoter son affaire, d’attendre deux heures avant de la sortir et que tu le fais au bout d’une heure, tu peux être sûr que c’est la dernière fois qu’il te tuyaute. La relation de confiance éclate en vol. Il faut toujours fidéliser ses contacts.
Bon, tu es président d’un club de Ligue 1. Qui sont les trois joueurs que tu recrutes ?
Pour viser le titre de champion de France, je prends forcément Mbappé. Après, il y a un joueur que j’aime beaucoup et en qui je crois énormément, c’est Ousmane Dembélé. L’association des deux, c’est quelque chose d’assez magique. Et pour finir, parce que je le connais bien depuis longtemps : Sofiane Feghouli.
Un scoop pour finir ?
Je n’ai pas d’énormes scoops, mais je retourne bosser pour en trouver.