“FIFA a une carte à jouer pour intégrer les Jeux Olympiques” : entretien avec l’auteur d’un livre sur le phénomène eSport

“FIFA a une carte à jouer pour intégrer les Jeux Olympiques” : entretien avec l’auteur d’un livre sur le phénomène eSport

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Par Julien Choquet

Publié le

L’eSport prend aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le paysage médiatique du football. 
Que ce soit à la télévision ou sur internet, on peut désormais trouver une kyrielle de contenus sur l’eSport, et notamment à propos de FIFA. Philippe Rodier, ancien joueur professionnel de Counter Strike et champion de France en 2010, a sorti le 2 novembre dernier Le phénomène eSport raconté par les gamers. Un livre en immersion dans ce monde encore méconnu du grand public. Entretien avec un passionné. 


Que penses-tu de la place de FIFA dans le monde de l’eSport ? 
Le gros point fort de FIFA, c’est que le jeu est compréhensible par le public. Ce qui n’est pas le cas de tous les jeux, comme League of Legends (LoL) par exemple. J’étais à la Paris Games Week la semaine dernière, et j’ai pu voir que, lorsqu’il y a des matches diffusés sur la grande scène, les gens s’y intéressent assez facilement. Tout le monde peut comprendre ce qu’il se passe à l’écran, et c’est un point très important. 
Mais malgré ça, FIFA reste un jeu très mineur dans le monde de l’eSport actuel. C’est très loin du niveau de LoL, Counter Strike ou même Quake. Le point positif, c’est qu’il peut se faire sa place petit à petit, parce qu’il a une image positive auprès du public : il n’y a pas de sang ou de violence. Et même si cela reste un jeu mineur actuellement, tous les gamers professionnels ont énormément de respect pour les joueurs de FIFA. 
Néanmoins depuis l’année dernière et l’arrivée de FUT Champions, on a l’impression qu’il y a de plus en plus d’engouement autour de ce jeu. Selon toi, FIFA peut-il continuer à se développer, pour devenir un gros sur la scène eSport ?
L’enjeu pour les éditeurs et les organisateurs de compétitions, c’est de ramener un public étranger à l’eSport vers l’eSport. Le problème, c’est que pour les gens comme moi qui aiment le foot, nous n’avons pas forcément envie de regarder un match de FIFA. C’est sympa, parce que tu reçois quelques émotions, mais au niveau tactique, ce n’est pas réaliste. Sincèrement, je ne pense pas que FIFA pourra devenir l’égal de League of Legends dans l’avenir. La plupart des jeunes gamers qui arrivent, même si ce sont des passionnés de foot, sont avant tout des amoureux de jeux vidéo. Donc ils s’orienteront plutôt vers Call of Duty pour jouer, et regarderont le foot à la télé par passion. 
Néanmoins, un débat se pose actuellement : celui d’intégrer un jeu vidéo aux Jeux Olympiques. Et FIFA a vraiment une carte à jouer à ce niveau-là, étant donné qu’il allie le côté sport au côté compétition. 
Penses-tu que FIFA aurait sa place aux Jeux Olympiques ? 
Personnellement, je ne suis pas forcément pour une intégration de l’eSport aux JO. Quand je vois que le comité olympique se tourne aujourd’hui vers l’eSport, c’est une forme d’opportunisme assez énorme. Ils ont bien compris que financièrement, c’était très intéressant pour eux. Donc je pense que ça ne serait pas qualitatif, mais surtout du show et du spectacle. 

Pourtant tu fais partie de ceux qui voient l’eSport comme un sport à part entière… 
J’ai beaucoup joué sur scène en compétition, et quand j’en sortais, j’étais épuisé. Tu as un vrai effort mental, mais également un rapport à la motricité qui existe. Certes il n’est pas aussi prononcé que dans le football ou d’autres sports, mais la pétanque ou le tir à l’arc ne le sont pas non plus. Ce sont des sports qui souffrent d’une grande condescendance.
Autre exemple : plus jeune j’ai fait du badminton à haut niveau, en faisant partie des meilleurs joueurs français. Les gens me disaient “tu fais un sport de plage, ce n’est pas un vrai sport”. C’est la même chose pour l’eSport. Mais si quelqu’un me dit que ce n’est pas un sport, je n’ai pas envie de me battre avec lui non plus. Parce que je peux comprendre que ça puisse choquer les gens qu’on appelle “sport” une activité derrière un écran. 

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“Les gamers ont de l’influence, et de l’impact sur le jeu”

On a beaucoup parlé de FIFA, mais est-ce que tu penses que PES à un avenir dans le monde eSport ? Ou est-ce que le jeu a déjà pris trop de retard ?
EA Sports a fait un travail marketing tellement phénoménal pour FIFA que sincèrement je n’y crois pas. Est-ce que FIFA est vraiment meilleur que PES aujourd’hui ? Je ne sais pas. Mais à partir du moment où l’éditeur fait le boulot correctement, il a plus de chance de percer, même si le jeu est moyen. Et PES, même si le jeu redevient un jour meilleur que FIFA, à partir du moment où le travail marketing n’est pas au niveau, restera toujours dans l’ombre. 
Et Football Manager ? 
Ça ne peut pas être un jeu eSport. Même si le jeu cartonne, il n’est pas adapté pour la scène eSport, parce qu’il est trop compliqué à suivre à l’écran pour les spectateurs. 


Tu parlais du rôle des éditeurs pour la percée d’un jeu dans l’eSport, mais est-ce que les joueurs eux-mêmes n’ont pas un rôle à jouer ? Typiquement, sur la scène FIFA, on voit que RocKyy, Bruce Grannec, AF5 ou autres sont très actifs sur les réseaux sociaux. 
Bien sûr qu’ils ont un rôle à jouer. Et c’est ce qui est bien avec les jeux vidéo : les joueurs ont de l’influence, et de l’impact sur leur métier. Ils développent tous une grosse communauté, qui est très réceptive à leurs messages. Leurs avis comptent vraiment. Exemple : si les joueurs professionnels de FIFA font un boycott et passent tous sur PES, la communauté va suivre, en majorité. 
C’est une sorte de boucle en fait. Si quelque chose ne va pas, les joueurs se plaignent, la communauté suit, et du coup l’éditeur du jeu va devoir faire des concessions ?
C’est exactement ça. Ils ont une vraie influence sur le développement du jeu. Certains éditeurs appellent même des joueurs professionnels pour tester le jeu en amont de la sortie, afin qu’ils donnent leur avis. D’ailleurs EA Sports devrait travailler main dans la main avec les pros, parce que le jeu pourrait vraiment être beaucoup mieux grâce à leurs avis. 
Dernièrement, Coca-Cola a annoncé le lancement de la eCOPA Coca-Cola, permettant à chacun de défendre les couleurs du club de sa ville lors d’une compétition nationale. Que penses-tu de ce type de projet ? 
C’est bien, parce que ça donne sa chance à tout le monde. Et ça, tu vas le retrouver dans le “vrai” sport : toutes les générations sont mêlées, toutes les catégories sociales aussi, et puis il y a aussi ce côté “magie de la Coupe”. Un joueur amateur peut sortir un professionnel sur un match, comme en Coupe de France, et ça c’est génial, pour le côté belle histoire. Tant mieux que certaines marques aient cette démarche, parce que le circuit professionnel est très fermé. Et c’est dommage. 
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